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et toujours, comme une rivière qui coule et dont on ne voit jamais la fin.

Je me rappelle encore que cela commença par des grenadiers qui conduisaient de gros chariots attelés de bœufs Ces bœufs étaient à la place de chevaux, pour servir de vivres plus tard, quand on aurait usé les munitions. Chacun disait : « Quelle belle idée ! Quand les grenadiers ne pourront plus nourrir les bœufs, les bœufs nourriront les grenadiers. » Malheureusement, ceux qui disaient cela ne savaient pas que les bœufs ne peuvent faire que sept à huit lieues par jour, et qu’il leur faut sur huit jours de marche un jour de repos au moins ; de sorte que ces pauvres bêtes avaient déjà la corne usée, la lèvre baveuse, les yeux hors de la tête, le cou rivé dans les épaules, et qu’il ne leur restait plus que la peau et les os. Il en passa pendant trois semaines de cette espèce, tout déchirés de coups de baïonnette. La viande devint bon marché, car on abattait beaucoup de ces bœufs, mais peu de personnes en voulaient, la viande malade étant malsaine. Ils n’arrivèrent pas seulement à vingt lieues de l’autre côté du Rhin.

Après cela, nous ne vîmes plus défiler que des lances, des sabres et des casques. Tout s’engouffrait sous la porte de France, traversait la place