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et deux blessés. Alors je sentis une main me prendre par le bras ; je me retournai et je vis le vieux sergent à demi mort, qui me regardait en riant d’un air farouche. Le toit de notre baraque s’affaissait, le mur penchait, mais nous n’y prenions pas garde : nous ne voyions que la défaite des ennemis, et nous n’entendions, au milieu de tout ce fracas épouvantable, que les cris toujours plus proches de nos soldats.

Tout à coup le sergent tout pâle dit :

« Le voilà ! »

Et penché en avant, sur les genoux, une main à terre et l’autre levée, il cria d’une voix éclatante :

Vive l’Empereur !

Puis il tomba la face à terre et ne remua plus.

Et moi, me penchant aussi pour voir, je vis Napoléon qui montait dans la fusillade, son chapeau enfoncé sur sa grosse tête, sa capote grise ouverte, un large ruban rouge en travers de son gilet blanc, calme, froid, comme éclairé par le reflet des baïonnettes. Tout pliait devant lui ; les canonniers prussiens abandonnaient leurs pièces et sautaient le mur du jardin, malgré les cris de leurs officiers qui voulaient les retenir.