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entendis qui disait au jeune officier russe, d’un ton bref :

« Dites à l’empereur Alexandre que je suis dans Kaya… La bataille est gagnée si on m’envoie des renforts. Qu’on ne délibère pas, qu’on agisse ! Il faut nous attendre à une attaque furieuse. Napoléon arrive, je sens cela… Dans une demi-heure nous l’aurons sur les bras avec sa garde. Coûte que coûte, je lui tiendrai tête ; mais, au nom de Dieu, qu’on ne perde pas une minute, et la victoire est à nous ! »

Le jeune homme partit au galop du côté de Klein-Gorschen, et dans le même instant quelqu’un dit près de moi : « Ce vieux-là, c’est Blücher… Ah ! gredin, si je tenais mon fusil. »

Ayant tourné la tête, je vis un vieux sergent sec et maigre, avec de grandes rides le long des joues, qui se tenait assis contre la porte de la grange, les deux mains appuyées à terre comme des béquilles, car ses reins étaient cassés par une balle. Ses yeux jaunes suivaient le général prussien en louchant ; son nez crochu, déjà pâle, se recourbait comme un bec dans ses grosses moustaches : il avait l’air terrible et fier.

« Si je tenais mon fusil, dit-il encore une fois, tu verrais si la bataille est gagnée ! »