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d’œil : — ce vieux avec son gros nez, son front large et plat, ses yeux vifs, son air hardi, les autres autour de lui ; le chirurgien, un petit homme chauve en lunettes ; et, dans le fond de la vallée, à cinq ou six cents pas, entre deux maisons, nos soldats qui se reformaient. Tout cela je l’ai devant moi comme si j’y étais encore.

On ne tirait plus ; mais entre Klein-Gorschen et Kaya, des cris terribles s’élevaient… On entendait rouler pesamment, hennir, jurer et claquer du fouet. Sans savoir pourquoi, je me traînai hors de l’ornière, et me remis contre le mur, et presque aussitôt deux pièces de seize, attelées chacune de six chevaux, tournèrent au coin de la première maison du village. Les artilleurs à cheval frappaient de toutes leurs forces, et les roues entraient dans les tas de morts et de blessés comme dans de la paille ; les os craquaient ! Voilà d’où venaient les grands cris que j’avais entendus ; les cheveux m’en dressaient sur la tête.

« Ici !… cria le vieux en allemand. Pointez là-bas, entre ces deux maisons, près de la fontaine. »

Les deux pièces furent aussitôt retournées ; les voitures de poudre et de mitraille arrivèrent au galop. Le vieux vint voir son bras gauche en écharpe, et, tout en remontant la ruelle, je l’