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mes cuisses, et l’idée me vint que j’allais mourir en cet endroit, ce qui me donna tout froid.

Les camarades continuaient à tirer par-dessus ma tête, et les Prussiens répondaient toujours.

En songeant qu’une autre balle pouvait m’achever, je me cramponnai tellement de la main droite au coin du mur pour m’ôter de là, que je tombai dans un petit fossé qui conduisait l’eau de la rue dans le jardin. Mon bras gauche était lourd comme du plomb, ma tête tournait ; j’entendais toujours la fusillade, mais comme un rêve. Cela dura quelque temps sans doute.

Lorsque je rouvris les yeux, la nuit venait ; les Prussiens défilaient dans la ruelle en courant. Ils remplissaient déjà le village, et, dans le jardin en face, se trouvait un vieux général, la tête nue, les cheveux blancs, sur un grand cheval brun. Il criait comme une trompette d’amener des canons, et des officiers partaient ventre à terre porter ses ordres. Près de lui, debout sur le petit mur encombré de morts, un de leurs chirurgiens lui bandait le bras. Derrière, de l’autre côté, se tenait également à cheval un officier russe très mince, un jeune homme coiffé d’un chapeau à plumes vertes tombant en forme de bouquet. Je vis cela d’un coup