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à vingt ou trente, en face d’un jardin où se trouvaient un petit rucher et de grands cerisiers en fleur qu’il me semble voir encore, nous commençâmes un feu roulant sur ces gueux qui voulaient escalader un petit mur au-dessous et prendre le village.

Combien d’entre eux, en arrivant sur ce mur, retombèrent dans la masse, je n’en sais rien ; mais il en venait toujours d’autres. Des centaines de balles sifflaient à nos oreilles et s’aplatissaient contre les pierres, le crépi tombait, la paille pendait des poutres, la grande porte à gauche était criblée ; et nous, derrière la grange, après avoir rechargé, nous faisions la navette pour tirer dans le tas : cela durait juste le temps d’ajuster et de serrer la détente, et, malgré cela, cinq ou six étaient déjà tombés au coin du fenil, le nez à terre ; mais notre rage était si grande que nous n’y faisions pas attention.

Comme je retournais là pour la dixième fois, en épaulant, le fusil me tomba de la main ; je me baissai pour le ramasser et je tombai dessus : j’avais une balle dans l’épaule gauche ; le sang se répandait sur ma poitrine comme de l’eau chaude. J’essayai de me relever ; mais tout ce que je pus faire, ce fut de m’asseoir contre le mur. Alors le sang descendit jusque sur