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L’ennemi s’était arrêté à deux portées de canon, et ses cavaliers tourbillonnaient par centaines autour de la côte pour nous reconnaître. Rien qu’à voir au bord du Floss-Graben cette quantité de Prussiens qui rendaient les deux rives toutes noires, et dont les premières lignes commençaient à se former en colonnes, je me dis en moi-même :

« Cette fois, Joseph, tout est perdu, tout est fini… il n’y a plus de ressource… Tout ce que tu peux faire, c’est de te venger, de te défendre, et de n’avoir pitié de rien… Défends-toi, défends-toi !… »

Comme je pensais cela, le général Chemineau passa seul à cheval devant le front de bataille, en nous criant : « Formez le carré ! »

Tous les officiers, à droite, à gauche, en avant, en arrière, répétèrent le même ordre. On forma quatre carrés de quatre bataillons chacun. Je me trouvais cette fois dans un des côtés intérieurs, ce qui me fit plaisir ; car je pensais naturellement que les Prussiens, qui s’avançaient sur trois colonnes, tomberaient d’abord en face. Mais j’avais à peine eu cette idée qu’une véritable grêle de boulets traversa le carré. En même temps, le bruit des canons que les Prussiens avaient amenés sur une colline à gauche se mit à gronder bien autrement qu’