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Catherine et moi nous allions derrière, dans le verger ; nous mordions dans les mêmes pommes et dans les mêmes poires ; nous étions les plus heureux du monde.

C’est moi qui conduisais Catherine à la grand-messe et aux vêpres, et, pendant la fête, elle ne quittait pas mon bras et refusait de danser avec les autres garçons du village. Tout le monde savait que nous devions nous marier un jour ; mais, si j’avais le malheur de partir à la conscription, tout était fini. Je souhaitais d’être encore mille fois plus boiteux, car, dans ce temps, on avait d’abord pris les garçons, puis les hommes mariés, sans enfants, et malgré moi je pensais : « Est-ce que les boiteux valent mieux que les hommes mariés ? est-ce qu’on ne pourrait pas me mettre dans la cavalerie ! » Rien que cette idée me rendait triste ; j’aurais déjà voulu me sauver.

Mais c’est principalement en 1812, au commencement de la guerre contre les Russes, que ma peur grandit. Depuis le mois de février jusqu’à la fin de mai, tous les jours nous ne vîmes passer que des régiments et des régiments : des dragons, des cuirassiers, des carabiniers, des hussards, des lanciers de toutes les couleurs, de l’artillerie, des caissons, des ambulances, des voitures, des vivres, toujours