Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/177

Cette page n’a pas encore été corrigée

et, derrière nous, du côté de la route qui part du vieux pont de Poserna et s’étend jusqu’à Lutzen et à Leipzig, j’entendais une grande rumeur dans la nuit : un roulement de voitures, de canons, de caissons, montant et s’abaissant au milieu du silence.

Le sergent Pinto ne dormait pas ; il fumait sa pipe en séchant ses pieds au feu. Chaque fois que l’un ou l’autre remuait, il voulait parler :

« Eh bien, conscrit ? » disait-il.

Mais on faisait semblant de ne pas l’entendre, on se retournait en bâillant, et l’on se rendormait.

L’horloge de Gross-Gorschen tintait cinq heures lorsque je m’éveillai ; j’avais les os des cuisses et des reins comme rompus, à force d’avoir marché dans la vase. Pourtant, en appuyant les mains à terre, je m’assis pour me réchauffer, car j’avais bien froid. Les feux fumaient ; il ne restait plus que de la cendre et quelques braises. Le sergent, debout, regardait la plaine blanche, où le soleil étendait quelques lignes d’or.

Tout le monde dormait autour de nous, les uns sur le dos, les autres sur l’épaule, les pieds au feu ; plusieurs ronflaient ou rêvaient tout haut.

Le sergent, me voyant éveillé, vint prendre une