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« Chargez ! » cria le général.

Je ne crois pas avoir eu dans ma vie un plaisir pareil.

« Tiens, tiens, ils s’en vont ! » me disais-je en moi-même.

Et de tous les côtés on entendait crier : Vive l’Empereur !

Dans ma joie, je me mis à crier comme les autres. Cela dura bien une minute. Les carrés s’étaient remis en marche, on croyait déjà que tout était fini ; mais, à deux ou trois cents pas du ravin, il se fit une grande rumeur, et pour la seconde fois le général cria :

« Halte !… genou terre !… Croisez la baïonnette ! »

Les Russes sortaient du creux comme le vent pour tomber sur nous. Ils arrivaient tous ensemble ; la terre en tremblait. On n’entendait plus les commandements ; mais le bon sens naturel des soldats français les avertissait qu’il fallait tirer dans le tas, et les feux de file se mirent à rouler comme le bourdonnement des tambours aux grandes revues. Ceux qui n’ont pas entendu cela ne pourront jamais s’en faire une idée. Quelques-uns de ces Russes arrivaient jusque sur nous ; on les voyait se dresser dans la fumée, puis, aussitôt après, on ne voyait plus rien.