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poste du village, dont presque tous les chevaux avaient été mis en réquisition pour notre cavalerie. Cela ne devait pas le rendre de bonne humeur, mais il ne disait rien et fumait sa pipe derrière le fourneau, du matin au soir. Sa femme était grande et forte, et ses deux filles étaient bien jolies. Elles avaient peur de nous et se sauvaient lorsque nous revenions de l’exercice, ou de monter la garde au bout du village.

Le soir du quatrième jour, comme nous finissions de souper, arriva vers sept heures un vieillard en capote noire, la tête blanche et la figure tout à fait respectable. Il nous salua, puis il dit en allemand au maître de poste :

« Ce sont de nouvelles recrues ?

— Oui, monsieur Stenger, répondit l’autre, nous ne serons jamais débarrassés de ces gens-là. Si je pouvais les empoisonner tous, ce serait bientôt fait. »

Je me retournai tranquillement et je lui dis :

« Je connais l’allemand… ne dites pas de pareilles choses. »

À peine le maître de poste m’eut-il entendu, que sa grande pipe lui tomba presque de la main.

« Vous êtes bien imprudent en paroles, monsieur Kalkreuth ! dit le vieillard ; si d’autres