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humain, depuis les conscrits jusqu’aux généraux. Pendant ce temps, chaque jour il arrivait des recrues de France et des charrettes pleines de blessés de la Pologne. Quel spectacle devant l’hôpital du Saint-Esprit, de l’autre côté de la rivière ! C’était un convoi qui ne finissait jamais ! Tous ces malheureux avaient les uns le nez et les oreilles gelés, les autres un bras, les autres une jambe ; on les mettait dans la neige pour les empêcher de tomber en morceaux. Jamais on n’a vu de gens habillés si misérablement, avec des jupons de femme, des bonnets à poil pelés, des shakos défoncés, des vestes de Cosaques, des mouchoirs et des chemises entortillés autour des pieds ; ils sortaient des charrettes en se cramponnant et vous regardaient comme des bêtes sauvages, les yeux enfoncés dans la tête et les poils de la figure hérissés. Les bohémiens qui dorment au coin des bois en auraient eu pitié, et pourtant c’étaient encore les plus heureux, puisqu’ils étaient réchappés du carnage, et que des milliers de leurs camarades avaient péri dans les neiges ou sur les champs de bataille.

Klipfel, Zébédé, Furst et moi nous allions voir ces malheureux ; ils nous racontaient toute la débâcle depuis Moscou, et je vis bien alors que