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« Avant de manger, mon enfant, il faut sortir vos pieds de l’eau. »

Elle se baissa et m’essuya les pieds avec son tablier, avant que j’eusse compris ce qu’elle voulait faire.

Alors je m’écriai : « Mon Dieu, madame, vous me traitez comme votre enfant. »

Elle me répondit au bout d’un instant :

« Nous avons un fils à l’armée ! »

J’entendis que sa voix tremblait en disant ces mots, et mon cœur se mit à sangloter intérieurement : je songeais à Catherine, à la tante Grédel, et je ne pouvais rien répondre.

« Mangez et buvez », me dit l’homme, en découpant la galette.

Ce que je fis, avec un bonheur que je n’avais jamais connu. Tous deux me regardaient gravement. Quand j’eus fini, l’homme se leva :

« Oui, dit-il, nous avons un fils à l’armée ; il est parti l’année dernière pour la Russie, et nous n’en avons pas eu de nouvelles… Ces guerres sont terribles ! »

Il se parlait à lui-même en marchant d’un air rêveur, les mains croisées sur le dos. Moi, je sentais mes yeux se fermer.

Tout à coup l’homme dit :

« Allons, bonsoir ! »