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un Russe lui avait lâché presque sous le nez. Un état pareil me déplaisait de plus en plus, et, comme déjà plusieurs jours s’étaient passés sans nouvelles, je commençais à croire qu’on m’oubliait comme le grand Jacob, du Chèvre-Hof, dont tout le monde parle encore, à cause de son bonheur extraordinaire. La tante Grédel elle-même me disait chaque fois que j’allais chez eux : « Eh bien… eh bien… ils veulent donc nous laisser tranquilles ! » lorsque, le matin du 25 janvier, au moment où j’allais partir pour les Quatre-Vents, M. Goulden, qui travaillait à son établi d’un air rêveur, se retourna les larmes aux yeux et me dit :

« Écoute, Joseph, j’ai voulu te laisser dormir encore tranquillement cette nuit ; mais il faut pourtant que tu le saches, mon enfant : hier soir, le brigadier de gendarmerie est venu m’apporter ta feuille de route. Tu pars avec les Piémontais et les Génois, et cinq ou six garçons de la ville : le fils Klipfel, le fils Lœrig, Jean Furst et Gaspard Zébédé ; vous partez pour Mayence. »

En entendant cela je sentis mes jambes s’en aller, et je m’assis sans pouvoir répondre un mot. M. Goulden sortit de son tiroir la feuille de route en belle écriture, et se mit à la lire lentement. Tout ce que Je me rappelle, c’est que