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long de la vieille halle. Les autres, secs, maigres, bruns, grelottaient dans leurs longues souquenilles, rien qu’à voir la neige sur les toits, et regardaient passer les femmes avec de grands yeux noirs et tristes. On les exerçait sur la place tous les jours à marcher au pas, ils allaient remplir les cadres du 6e léger à Mayence, et se reposaient un peu dans la caserne d’infanterie.

Le capitaine des recrues, qui s’appelait Vidal, logeait au-dessus de notre chambre. C’était un homme carré, solide, très ferme, et pourtant aussi très bon et très honnête. Il vint faire raccommoder la sonnerie de sa montre chez nous, et, quand il sut que j’étais conscrit et que j’avais peur de ne pas revenir, il m’encouragea disant « que tout n’est qu’habitude…, qu’au bout de cinq ou six mois, on se bat et l’on marche comme on mange de la soupe, et que beaucoup même, s’habituent tellement à tirer des coups de fusil ou de canon sur les gens, qu’ils se considèrent comme malheureux lorsqu’ils n’ont pas cette jouissance. »

Mais sa manière de raisonner n’était pas de mon goût, d’autant plus que je voyais cinq ou six gros grains de poudre sur une de ses joues, lesquels étaient entrés bien loin dans la peau, et qu’il m’expliqua provenir d’un coup de fusil qu’