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ces choses en se grattant la hanche, ou bien en vidant un pot à la santé des braves.

C’était triste pour des fils de paysans, des gens honnêtes et laborieux de mener une existence pareille ; mais personne n’avait plus envie de travailler ; on aurait donné sa vie pour deux liards. À force de crier, de boire et de se désoler intérieurement, on finissait par s’endormir le nez sur la table, et les vieux vidaient les cruches en chantant :

La gloire nous appelle !

Moi qui voyais ces choses, je bénissais le Ciel, dans ma misère, de me donner d’honnêtes gens pour soutenir mon courage et m’empêcher de tomber entre pareilles mains.

Cela se prolongea jusqu’au 25 janvier. Depuis quelques jours, un grand nombre de conscrits italiens, des Piémontais et des Génois étaient arrivés en ville ; les uns gros et gras comme des Savoyards nourris de châtaignes, le grand chapeau pointu sur la tête crépue, le pantalon de bure, teint en vert sombre, et la petite veste également de bure, mais couleur de brique, serrés aux reins par une ceinture de cuir. Ils avaient des souliers énormes, et mangeaient du fromage sur le pouce, assis tout le