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L’ESQUISSE MYSTÉRIEUSE.

sur le dos un maître d’hôtel, les lèvres pincées, la voix criarde, l’air impudent, qui vient vous dire chaque jour : « » Ah çà ! me payerez-vous bientôt, Monsieur ? savez-vous à combien se monte votre note ? Non, cela ne vous inquiète pas… Monsieur mange, boit et dort tranquillement… Aux petits oiseaux le Seigneur donne la pâture. La note de Monsieur se monte à deux cents florins et dix kreutzer… ce n’est pas la peine qu’on en parle. »

Ceux qui n’ont pas entendu chanter cette gamme, ne peuvent s’en faire une idée ; l’amour de l’art, l’imagination, l’enthousiasme sacré du beau se dessèchent au souffle d’un pareil drôle… Vous devenez gauche, timide ; toute votre énergie se perd, aussi bien que le sentiment de votre dignité personnelle, et vous saluez de loin, respectueusement, M. le bourgmestre Schnéegans !

Un nuit, n’ayant pas le sou, comme d’habitude, et menacé de la prison par ce digne maître Rap, je résolus de lui faire banqueroute en me coupant la gorge. Dans cette agréable pensée, assis sur mon grabat en face de la fenêtre, je me livrais à mille réflexions philosophiques, plus ou moins réjouissantes.

« Qu’est-ce que l’homme ? me disais-je. Un animal omnivore ; ses mâchoires, pourvues de canines, d’incisives et de molaires, le prouvent suffisamment. Les canines sont faites pour déchirer les viandes ;