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L’ILLUSTRE DOCTEUR MATHÉUS.

Il s’assit tout rêveur en face de l’âtre. (Page 63.)

« Croyez-vous que j’ai assez fait pour le genre humain ? que la postérité ne me fera point de reproches ? que j’ai rempli mon devoir ?

— Si vous avez assez fait ! Quel philosophe peut se vanter d’en avoir fait autant que vous ? d’avoir rempli ses devoirs comme vous ? d’avoir tout sacrifié pour sa doctrine ? Allons, mon cher et respectable ami, ne versez point de larmes ; quand on s’est comporté comme vous, il ne faut point en répandre. Le témoignage de votre propre conscience doit vous suffire ! »

Ces paroles bienveillantes adoucissaient l’angoisse de maître Frantz ; ses larmes coulaient sans effort et comme d’une source ; il se sentait vaincu par la fortune, et par les conseils judicieux d’un honnête homme. Mais Coucou Peter, voyant qu’il allait perdre sa place de grand rabbin, frappa sur la table et s’écria :

« Eh bien ! moi, je dis que nous sommes sûrs de convertir l’univers ! Ce n’est pas au plus beau moment qu’il faut quitter la partie, que diable ! Et cette place de grand rabbin qu’on m’a promise ! car vous me l’avez promise, maître Frantz, vous ne direz pas le contraire ! »

Mathéus ne répondit pas, il n’en avait ni la force ni le courage ; mais Kasper Müller, posant la main sur l’épaule du bon apôtre, lui dit :

« J’ai une place pour toi, camarade, une place qui te conviendra mieux que celle de grand rabbin. J’ai une place de garçon brasseur vacante dans ma cave : trente francs par