Page:Erckmann-Chatrian - Contes et romans populaires, 1867.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
L’ILLUSTRE DOCTEUR MATHÉUS.

C’était un coup d’œil superbe. (Page 59.)

aux flancs de la côte, se succédaient rapidement l’une à l’autre avec leurs granges, leurs étables, leur escalier de bois où pend la lessive, leurs enfants joufflus qui vous demandent l’aumône, et leurs vieilles femmes curieuses qui se penchent aux lucarnes en branlant la tête.

Au bout d’un quart d’heure ils étaient dans la campagne, respirant le grand air, galopant entre deux files de noyers à perte de vue, écoutant le chant des oiseaux, et rêvant encore à ce digne pasteur Schweitzer, qui les avait si bien reçus, à cette tendre petite Grédel, qui pleurait de si bon cœur en les voyant partir.

Quand les toits enfumés de Saverne et la vieille tour carrée de l’église eurent disparu derrière la montagne, Coucou Peter sortit enfin de cette rêverie profonde ; il toussa deux ou trois fois, puis, élevant la voix, il chanta d’un air grave l’antique ballade du comte de Géroldsek : le nain jaune en faction sur la plus haute tourelle, et la délivrance de la belle Itha, retenue captive au Haut-Barr. La voix de Coucou Peter avait quelque chose de mélancolique, car il songeait à sa petite Grédel. Bruno relevait le pas en cadence, et Mathéus, écoutant ce vieux langage, se rappelait confusément de vagues souvenirs.

Au dernier couplet, Coucou Peter reprit haleine et s’écria :

« Quelle joyeuse vie menaient ces comtes de Géroldsek ! Parcourir la montagne, enlever les filles, battre les maris, boire, chanter, festoyer du matin au soir… Dieu de Dieu !