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LE BOURGMESTRE EN BOUTEILLE.

les chèvres ; un garçon de ton âge doit aller à l’école. »

Je remontai donc dans ma chambre plus tranquille, et je m’endormis heureusement.

Le lendemain l’oncle Bernard me conduisit lui-même chez notre vieil instituteur Tobie Veyrius. Pour dire la vérité, cela me parut dur les premiers jours, de rester enfermé dans une chambre du matin au soir, sans oser remuer, oui, cela me parut bien dur ; je regrettais le grand air ! mais on n’arrive à rien ici-bas sans se donner beaucoup de peine. Et puis le travail finit par devenir une douce habitude ; c’est même, tout bien considéré, la plus pure et la plus solide de nos jouissances. Par le travail seul on devient un homme, et l’on se rend utile à ses semblables.

Aujourd’hui l’oncle Bernard est bien vieux ; il passe son temps assis dans le grand fauteuil derrière le poêle, en hiver, et l’été, sur le banc de pierre devant la maison, à l’ombre de la vigne qui couvre la façade. Moi, je suis médecin ; je le remplace. Le matin au petit jour je monte à cheval, et je ne rentre que le soir, harassé de fatigue. C’est une existence pénible, surtout à l’époque des grandes neiges ; eh bien, cela ne m’empêche pas d’être heureux.

Le coquillage est toujours à sa place. Quelquefois, en rentrant de mes courses dans la montagne, je le prends comme au bon temps de ma jeunesse, et j’écoute bourdonner l’écho de mes pensées ; elles ne sont pas toujours joyeuses, parfois même elles sont tristes, — lorsqu’un de mes pauvres malades est en danger de mort, et que je ne puis rien pour le secourir, — mais jamais elles ne sont menaçantes, comme le soir de l’aventure du nid de merles.

Celui-là seul est heureux, mes chers amis, qui peut écouter sans crainte la voix de sa conscience : riche ou pauvre, il goûte la félicité la plus complète qu’il soit donné à l’homme de connaître en ce monde.


FIN DU COQUILLAGE DE L’ONCLE BERNARD.