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LE JUIF POLONAIS.

Bonsoir, bonsoir, Monsieur le Bourgmestre. (Page 21.)

le songeur. — Vous êtes à la nuit du 24 décembre 1818 ?

mathis, bas.—Oui.

le songeur. — Quelle heure est-il ?

mathis. — Onze heures et demie.

le songeur. — Parlez… je le veux.

mathis. — Les gens sortent de l’auberge. Catherine et la petite Annette sont allées se coucher. Kasper rentre… il me dit que le four à plâtre est allumé. Je lui réponds : — C’est bon… va dormir, j’irai là-bas. — Il monte. Je reste seul avec le Polonais, qui se chauffe au fourneau. Dehors tout est endormi. On n’entend rien que de temps en temps la sonnette du cheval sous le hangar. Il y a deux pieds de neige, (Silence.)

le songeur. — À quoi pensez-vous ?

mathis. — Je pense qu’il me faut de l’argent… que si je n’ai pas trois mille francs pour le 31, l’auberge sera expropriée… Je pense qu’il n’y a personne dehors… qu’il fait nuit, et que le Polonais suivra la grande route, tout seul dans la neige.

le songeur. — Est-ce que vous êtes déjà décidé à l’attaquer ?

mathis, après un instant de silence. — Cet homme est fort… il a des épaules larges… Je pense qu’il se défendra bien, si quelqu’un l’attaque. (Mouvement de Mathis.)

le songeur. — Qu’avez-vous ?

mathis, bas. — Il me regarde… Il a les yeux gris. (D’un accent intérieur comme se parlant à lui-même.) Il faut queje fasse le coup !…

le songeur. — Vous êtes décidé ?