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LE JUIF POLONAIS.


Le rêve de Mathis. (Page 20)

Annette. — C’était deux jours après Pâques, je m’en souviens bien.

christian. — Dieu du ciel, j’y suis encore ! Je dis à Fritz, sans avoir l’air de lien : « Qu’est-ce donc que cette jolie fille, père Fritz ? — Ça, maréchal des logis, c’est mademoiselle Mathis, la fille du bourgmestre, la plus riche et la plus belle des environs. » Aussitôt je pense : Bon, ce n’est pas pour toi, Christian, ce n’est pas pour toi, malgré tes cinq campagnes et tes deux blessures ! — Et depuis ce moment , je me disais toujours en moi-même : Y a-t-il des gens heureux dans ce monde, des gens qui n’ont jamais risqué leur peau, et qui attrapent tout ce qu’il y a de plus agréable ! Un garçon riche va venir, le fils d’un notaire, d’un brasseur, n’importe quoi, il dira : « Ça me convient. » Et bonsoir.

Annette. — Oh ! je n’aurais pas voulu.

christian. — Mais si vous l’aviez aimé ce garçon ?

Annette. — Je n’aurais pas pu l’aimer, puisque j’en aime un autre.

christian, attendri. — Annette, vous ne saurez jamais combien ça me fait plaisir de vous entendre dire … Non … vous ne le saurez jamais ! (Annette rougit et baisse les yeux. Silence. Christian lui prend la main.) Vous rappelez-vous, Annette, cet autre jour, à la fin des moissons, quand on rentrait les dernières gerbes et que vous étiez sur la voiture, avec le bouquet et trois ou quatre autre filles du village ? Vous chantiez de vieux airs …