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LA MAISON FORESTIÈRE.

Je posai mes lèvres en tremblant sur le front de la jeune fille. (Page 58)


monsieur Théodore, je vous dirai que le Comte-Sauvage revient alors en punition de ses crimes, et qu’il recommence, dans le Hôwald, la chasse de son fils Hâsoum. Cette chasse part du Veierschloss, et elle descend dans la plaine du Palatinat ; elle fait le tour du Hundsrück, en comprenant le Mont-Tonnerre ; elle gagne les Vosges par Bitche, Lutzelstein et Lutzelbourg ; elle descend jusqu’au Jura et finit par venir s’abîmer dans le lac.

Mais ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que, tout le long de la route, le Burckar entraîne avec lui des âmes des descendants de ses anciens serviteurs. Cela vous surprend comme un coup de vent, votre esprit est râflé d’un seul coup, votre corps reste endormi, et vous voilà parti, bondissant par-dessus les rochers, les broussailles, les rivières, à la suite des terribles chiens burckars, soufflant dans des trompes à vous crever les joues, et criant : « Hallali ! Hallali ! » comme de véritables possédés. Vous voyez passer tant de lacs, de montagnes, de pics, de rivières, vous avez tant d’éblouissements durant ces deux ou trois jours d’absence, qu’au réveil tout cela vous semble un rêve !

Voilà ce qui m’est arrivé pendant mon enfance, et voilà ce qui maintenant arrive à Loïse ; si vous la voyiez, elle est là, les mains jointes, blanche comme de la cire : vous diriez une sainte dans sa niche. Il ne convient pas que vous la voyiez ; non, vous êtes trop jeune, sans cela je vous la montrerais, et vous prieriez en vous-même, car ce sommeil ressemble