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LES AMOUREUX DE CATHERINE.


IV


Le lendemain, qui se trouvait être un dimanche, tous les habitués de la Carpe, en tricornes, en feutres noirs ou gris, habits carrés, gilets rouges et bas de laine, défilaient l’un après l’autre dans la cuisine, selon leur habitude. Ils regardaient à droite et à gauche, pour faire leur compliment à Catherine, mais elle n’était pas là. Kasper, en manches de chemise et la pipe à la bouche, dépouillait un vieux lièvre roux accroché par les pattes de derrière à la porte de la cour, et la vieille Salomé, debout devant l’évier, récurait sa batterie de cuisine.

« Hé ! faisaient-ils, qu’est-ce qui se passe donc ce matin, Salomé ? Est-ce que mademoiselle Catherine est malade, qu’on n’a pas le plaisir de la voir ? »

Salomé, sans même se retourner pour répondre, disait :

« Malade ? hé ! hé ! hé ! je ne crois pas ! Non, monsieur Yaêger ; non, monsieur Matter, Dieu merci ; elle se porte comme un charme ; elle ne s’est jamais mieux portée, la pauvre chère enfant. — Kasper, une chopine de vin blanc pour monsieur Yaëger. »

Eux, alors, entraient dans la salle tout rêveurs et s’asseyaient devant leur chope. Plusieurs parlaient de la déconfiture du maître d’école, d’autres jouaient aux cartes, mais ils ne tapaient pas sur la table comme à l’ordinaire et semblaient inquiets.

Sur le coup de neuf heures, Catherine descendit enfin, légère comme une hirondelle. Elle avait mis sa petite jupe coquelicot, son beau casaquin bleu de ciel et son petit béguin de velours à broderies d’or et grands rubans de moire. Catherine n’avait pas fermé l’œil durant toute la nuit ; elle s’était retournée bien des fois dans son lit, ne sachant à quoi se résoudre ; mais, à cette heure, elle avait pris sa résolution, et toute sa gaieté naturelle lui était revenue ; jamais elle n’avait été si fraîche, si vive, si animée.

« Salomé, dit-elle, tu vas préparer un bon petit dîner… nous aurons du monde aujourd’hui. Moi, je sors… j’ai à faire… tu m’entends ?

— Oui, madame, répondit la vieille servante, avec un sourire qui voulait dire bien des choses ; vous pouvez être tranquille… votre monde sera content ! »

Au même instant, Rebstock entrait dans la cuisine.

« Hé, bonjour, mademoiselle Catherine ! s’écria-t-il en ouvrant sa grande bouche jusqu’aux oreilles ; que vous êtes donc belle ce matin !

— Vous trouvez, monsieur Rebstock ?

— Oui, Catherine, oui, je trouve !

— Eh bien, ça me fait joliment plaisir ! C’est que, voyez-vous, monsieur Rebstock, je veux plaire aujourd’hui.

— Vous voulez plaire !… et à qui donc ?

— Ah ! voilà, c’est mon secret, vous saurez cela plus tard ! »

Et, tournant le dos au vieux vigneron, elle entra dans l’allée qui donne sur la rue. Le pauvre Heinrich Walter, dans son long habit noir râpé, son petit tricorne sous le bras, sortait justement pour se rendre chez M. le curé Dimones.

Catherine, descendant l’escalier, lui cria de sa jolie voix claire :

« Monsieur Walter ! monsieur Walter ! »

Alors lui, voyant celle qu’il aimait, devint tout pâle et resta la main sur le loquet.

« Monsieur Walter, lui dit Catherine en souriant, entrons chez vous, s’il vous plaît ; j’aurais à vous parler. »

Walter était tellement saisi qu’il ne put répondre et tourna la clef dans la serrure en silence. Catherine entra, puis le pauvre garçon, qui ne se tenait plus sur ses jambes.

Voilà ce que virent, à leur grande stupéfaction, les amoureux de Catherine, le nez aplati contre les vitres de l’auberge ; — et voici maintenant ce qui se passa dans la salle d’école.

Catherine était toute rouge ; il lui avait fallu du courage pour faire une démarche pareille, mais on voyait dans ses beaux yeux brillants qu’elle était bien contente tout de même. Walter, appuyé contre la chaire, était pâle comme la mort ; il n’osait la regarder ; il avait chaud et froid, ne sachant pourquoi elle était venue.

« Monsieur Walter, dit Catherine en prenant son petit air sérieux, j’ai de grands reproches à vous faire.

— À moi ! mademoiselle, fit le maître d’école tout consterné.

— Oui, monsieur Walter ; votre conduite imprudente me fait beaucoup de tort ; voilà plus