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L’AMI FRITZ.


C’est moi, Kobus, c’est ton vieil ami. (Page 4.)

Il n’avait peut-être pas tout à fait tort, car ce vieux bordeaux est bien ce qu’il y a de mieux pour se faire un bon fond d’estomac. Oui, prenons d’abord ces six bouteilles de bordeaux ; ce sera un joli commencement. Et là-dessus, trois bouteilles de rudesheim, que mon pauvre père aimait tant !… mettons-en quatre en souvenir de lui. Cela fait déjà dix. Mais pour les deux autres, celles de la fin, il faut quelque chose de choisi, du plus vieux, quelque chose qui nous fasse chanter… Attendez, attendez, que je vous examine ça de près. »

Alors Kobus se courbant remua doucement la paille du rayon d’en bas, et, sur les vieilles étiquettes, il lisait : Markobrunner de 1780. — Affenthal de 1804. — Johannisberg des capucins, sans date »

« Ah ! ah ! Johannisberg des capucins ! » fit-il en se redressant et claquant de la langue.

Il leva la bouteille couverte de poussière et la posa dans le panier avec recueillement.

« Je connais ça ! » dit-il.

Et durant plus d’une minute, il se prit à songer aux capucins de Hunebourg, lesquels, en 1793, lors de l’arrivée des Français, avaient abandonné leur cave, dont le grand-père Frantz avait eu la chance de sauver du pillage deux ou trois cents bouteilles. C’était un vin jaune d’or, tellement délicat, qu’en le buvant il vous semblait sentir comme un parfum oriental se fondre dans votre bouche.

Kobus, se rappelant cela, fut content. Et ; sans compléter le panier, il se dit :

« En voilà bien assez ; encore une bouteille