l’hiver sont oubliées. — Maintenant, je vais encore courir de village en village joyeusement, dans la poussière des chemins, ou sous la pluie chaude des orages. — Mais je n’ai pas voulu passer sans te voir, Kobus, je viens te chanter mon chant d’amour, mon premier salut au printemps.
Tout cela, le violon de Iôsef le disait, et bien d’autres choses encore, plus profondes ; de ces choses qui vous rappellent les vieux souvenirs de la jeunesse, et qui sont pour nous… pour nous seuls. Aussi le joyeux Kobus en pleurait d’attendrissement.
Enfin, tout doucement, il écarta les rideaux de son lit, pendant que la musique allait toujours, plus grave et plus touchante, et il vit les trois bohémiens sur le seuil de la chambre, et la vieille Katel derrière, sous la porte. Il vit Iôsef, grand, maigre, jaune, déguenillé comme toujours, le menton allongé sur le violon avec sentiment, l’archet frémissant sur les cordes avec amour, les paupières baissées, ses grands cheveux noirs, laineux, — recouverts du large feutre en loques, — tombant sur ses épaules comme la toison d’un mérinos, et ses narines aplaties sur sa grosse lèvre bleuâtre retroussée.
Il le vit ainsi, l’âme perdue dans sa musique ; et, près de lui, Kopel le bossu, noir comme un corbeau, ses longs doigts osseux, couleur de bronze, écarquillés sur les cordes de la basse, le genou rapiécé en avant et le soulier en lambeaux sur le plancher ; et, plus loin, le jeune Andrès, ses grands yeux noirs entourés de blanc, levés au plafond d’un air d’extase.
Fritz vit ces choses avec une émotion inexprimable.
Et maintenant, il faut que je vous dise pourquoi Iôsef venait lui faire de la musique au printemps, et pourquoi cela l’attendrissait.
Bien longtemps avant, un soir de Noël, Kobus se trouvait à la brasserie du Grand-Cerf. Il y avait trois pieds de neige dehors. Dans la grande salle, pleine de fumée grise, autour du grand fourneau de fonte, les fumeurs se tenaient debout ; tantôt l’un, tantôt l’autre s’écartait un peu vers la table, pour vider sa chope, puis revenait se chauffer en silence.
On ne songeait à rien, quand un bohémien entra, les pieds nus dans des souliers troués ; il grelottait, et se mit à jouer d’un air mélancolique. Fritz trouva sa musique très-belle : c’était comme un rayon de soleil à travers les nuages gris de l’hiver.
Mais derrière le bohémien, près de la porte, se tenait dans l’ombre le wachtman Foux, avec sa tête de loup à l’affût, les oreilles droites, le museau pointu, les yeux luisants. Kobus comprit que les papiers du bohémien n’étaient pas en règle, et que Foux l’attendait à la sortie pour le conduire au violon.
C’est pourquoi, se sentant indigné, il s’avança vers le bohémien, lui mit un thaler dans la main, et, le prenant bras dessus bras dessous, lui dit :
« Je te retiens pour cette nuit de Noël ; arrive ! »
Ils sortirent donc au milieu de l’étonnement universel, et plus d’un pensa : « Ce Kobus est fou d’aller bras dessus bras dessous avec un bohémien ; c’est un grand original. »
Foux, lui, les suivait en frôlant les murs. Le bohémien avait peur d’être arrêté, mais Fritz lui dit :
« Ne crains rien, il n’osera pas te prendre. »
Il le conduisit dans sa propre maison, où la table était dressée pour la fête du Christ-Kind, l’arbre de Noël au milieu, sur la nappe blanche ; et, tout autour, le pâté, les küchlen saupoudrés de sucre blanc, le kougelhof aux raisins de caisse, rangés dans un ordre convenable. Trois bouteilles de vieux bordeaux chauffaient dans des serviettes, sur le fourneau de porcelaine à plaque de marbre.
« Katel, va chercher un autre couvert, dit Kobus, en secouant la neige de ses pieds ; je célèbre ce soir la naissance du Sauveur avec ce brave garçon, et si quelqu’un vient le réclamer… gare ! »
La servante ayant obéi, le pauvre bohémien prit place, tout émerveillé de ces choses. Les verres furent remplis jusqu’au bord, et Fritz s’écria :
« À la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le véritable Dieu des bons cœurs ! »
Dans le même instant Foux entrait. Sa surprise fut grande de voir le zigeiner assis à table avec le maître de la maison. Au lieu de parler haut, il dit seulement :
« Je vous souhaite une bonne nuit de Noël, monsieur Kobus.
— C’est bien ; veux-tu prendre un verre de vin avec nous ?
— Merci, je ne bois jamais dans le service. Mais connaissez-vous cet homme, monsieur Kobus ?
— Je le connais, et j’en réponds,
— Alors ses papiers sont en règle ? »
Fritz n’en put entendre davantage, ses grosses joues pâlissaient de colère ; il se leva, prit rudement le wachtman au collet, et le jeta dehors en criant :
« Cela t’apprendra à entrer chez un honnête homme, la nuit de Noël ! »
Puis il vint se rasseoir, et, comme le bohémien tremblait :
« Ne crains rien, lui dit-il, tu es chez Fritz