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LE TRESOR DU VIEUX SEIGNEUR.

mansarde s’ouvrit, et de longs soupirs s’exhalèrent dans le silence.

En ce moment, la chapelle des jésuites sonnait une heure, et sous la chambre de M. Furbach, les chevaux piétinaient dans leur écurie.

La mansarde était occupée par le cocher Nicklausse, un grand gaillard du Pitcherland, sec, nerveux, fort habile à conduire les chevaux, ayant même fait quelques études au séminaire de Marienthâl ; mais d’un esprit simple et superstitieux, à ce point qu’il portait une petite croix de bronze sous sa chemise et la baisait matin et soir, quoiqu’il eût passé trente ans.

M. Furbach prêta l’oreille ; au bout de quelques secondes la lucarne se referma, les pas cessèrent, le lit du cocher cria, enfin tout se tut.

« Allons, se dit le vieux libraire, c’est aujourd’hui pleine lune ; Nicklausse se frappe la poitrine ; il gémit sur ses péchés, le pauvre diable ! »

Et sans s’inquiéter davantage de ces choses, s’étant retourné, bientôt il s’endormit.

Le lendemain, vers sept heures, M. Furbach, les pieds dans ses pantoufles, déjeunait tranquillement avant de descendre à son magasin, lorsque deux petits coups retentirent à sa porte.

« Entrez ! » dit-il tout surpris d’une visite si matinale.

La porte s’ouvrit, et Nicklausse parut en blouse grise, coiffé du large feutre montagnard, et le gros bâton de cormier au poing, tel qu’il s’était présenté jadis en arrivant de son village. Il était pâle.

« Monsieur Furbach, dit-il je viens vous demander mon congé ; grâce au ciel, je vais enfin être à mon aise et pouvoir aider magrand’mère Orchel, de Vangebourg.

— Auriez-vous fait un héritage ? lui demanda le vieux libraire.

— Non, Monsieur Furbach, j’ai fait un rêve : j’ai rêvé d’un trésor, entre minuit et une heure et je vais mettre la main dessus. »

Le brave garçon parlait avec une telle assurance, que M. Furbach demeura confondu.

« Comment, vous avez fait un rêve ? dit-il.

— Oui, Monsieur, j’ai vu le trésor comme je vous vois, au fond d’une cave très-basse, dans un vieux château. Il y avait un seigneur couché dessus, les mains jointes, un gros pot de fer sur la tête.

— Mais où cela, Nicklausse ?

— Ah ! je n’en sais rien. Je vais d’abord chercher le château ; je trouverai bien ensuite la cave et les écus : des pièces d’or plein un cercueil de six pieds ; il me semble les voir. »

Les yeux de Nicklausse se prirent à brûler d’une façon étrange.

« Voyons, mon pauvre Nicklausse, voyons ! s’écria le vieux Furbach, soyons raisonnable. Asseyez-vous. Un rêve… c’est bien, c’est très-bien ; du temps de Joseph, je ne dis pas, les rêves signifiaient quelque chose ; mais aujourd’hui, c’est bien différent. Tout le monde rêve ; moi-même j’ai rêvé cent fois de trésor, et malheureusement je n’en ai jamais trouvé. Réfléchissez, vous allez quitter une bonne place, pour courir après un château qui n’existe peut-être pas.

— Je l’ai vu, dit le cocher, c’est un grand château qui tombe en ruine ; il y a au-dessous un village, un grand escalier en coquille, une église très-vieille ; beaucoup de gens demeurent encore dans ce pays, une grande rivière passe auprès.

— Bon ! tout cela vous l’avez rêvé, je le crois, » dit M. Furbach en haussant les épaules. Puis, au bout d’un instant, voulant ramener cet homme au bon sens, par un moyen quelconque :

« Et votre cave, comment était-elle ? demanda-t-il.

— Elle ressemblait à un four.

— Et vous y êtes descendu sans doute avec une lumière.

— Non, Monsieur.

— Mais alors, comment avez-vous pu voir le cercueil, le chevalier et les pièces d’or ?

—Ils étaient éclairés par un rayon de la lune.

—Allons donc !… est-ce que la lune brille dans une cave ? Vous voyez bien que votre rêve n’a pas le sens commun. »

Nicklausse commençait à se fâcher ; cependant il se contint et dit :

« Je l’ai vu, tout le reste ne me regarde pas. Et quant au chevalier, tenez, le voilà, s’écriat-il en ouvrant sa blouse, le voilà ! »

En même temps, il tirait de sa poitrine la petite croix de bronze suspendue par un ruban, et la déposait sur la table d’un air d’extase.

M. Furbach, grand amateur de médailles et d’antiquités, fut surpris du travail bizarre et vraiment précieux de cette relique. Il la prit, l’examina, et reconnut qu’elle remontait au XIIe siècle. Au lieu de l’effigie du Christ, saillait en relief, sur la branche du milieu, celle d’un chevalier, les mains jointes dans l’attitude de la prière. Du reste, aucun millésime n’en précisait la date.

Nicklausse, pendant cet examen, suivait les moindres gestes du libraire avec inquiétude.

« C’est fort beau, reprit M. Furbach ; je ne serais même pas étonné qu’à force de regarder cette jolie relique, vous n’ayez fini par vous