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MAITRE DANIEL ROCK.


La bataille. (Page 157)

comme je vous l’ai déjà dit : ce n’est pas un homme, c’est un rocher.

— Je le connais, répondit Bénédum fort triste ; je sais que vous avez fait tout votre possible pour nous réconcilier, et je vous en remercie… mais aujourd’hui, ce n’est pas de cela qu’il s’agit… Nous sommes résignés, Catherine et moi… résignés dans le désespoir ; notre garçon ne pense qu’à Thérèse, il n’en épousera jamais d’autre, c’est sûr… Il dépérit de jour en jour… Enfin… que faire ? Il faut se soumettre à la volonté du Seigneur.

— Oui, Bénédum, il faut se soumettre à la volonté du Seigneur, dit le père Nicklausse attendri ; c’est le plus simple... Soumettons-nous !

— Sans doute, reprit le meunier en marchant, les yeux fixés devant lui comme au hasard ; sans doute… mais nous voilà privés pour toujours de voir nos petits-enfants… C’est dur cela… c’est bien dur… surtout quand on s’était fait une fête d’avance… quand on avait déjà préparé les habits de noce, et les layettes pour les enfants qui devaient venir. Si vous saviez comme Catherine aurait été heureuse ! On dit bien que les belles-mères et les brus ne peuvent jamais s’entendre ; eh bien, moi je suis sûr que Thérèse et ma femme se seraient entendues. D’abord nous aimions Thérèse comme notre propre enfant ; vous savez, monsieur le curé, que dans le temps où la femme de Rock mettait au monde sa petite, Catherine allaitait encore Ludwig : combien de fois elle a donné le sein à cette jolie petite fille… plus de cent fois, sans mentir.