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UNE NUIT DANS LES BOIS.


Buvez à même, fit-elle. (Page 82.)

La bonne bête, calme et paisible, après avoir regardé quelques secondes, s’avança jusqu’au milieu de l’âtre et vint flairer la vieille Irmengarde.

« Va-t’en, disait Fuldrade, va-t’en avec les autres. »

Et la génisse, obéissante, retourna jusque sur le seuil de la scierie. Mais l’eau qui tombait par torrents parut la faire réfléchir ; elle resta là, spectatrice du déluge, balançant la queue et mugissant d’un air mélancolique.

Au bout de vingt minutes, le temps s’éclaircit, le jour commençait à poindre, et Waldine, se décidant enfin, sortit gravement comme elle était venue.

L’air frais pénétrait dans la hutte avec les mille parfums du lierre, de la mousse, du chèvrefeuille, ranimés par la pluie. Les oiseaux ’des bois, le rouge-gorge, la grive, le merle, s’égosillaient sous le feuillage humide : c’étaient des frissons d’amour, des frémissements d’ailes à vous épanouir le cœur.

Alors maître Bernard, sortant de sa rêverie, fit quatre pas au dehors, leva les yeux et vit quelques nuages blancs voguer en caravanes vaporeuses dans le ciel désert. Il vit aussi sur la côte opposée tout le troupeau de bœufs, de vaches et de génisses abrités sous la roche creuse : les uns, majestueusement étendus, les genoux ployés, l’œil endormi, les autres, le cou tendu, mugissant d’une voix solennelle. Quelques jeunes bêtes contemplaient les festons de chèvrefeuille pendus au granit, et semblaient en aspirer les parfums avec bonheur.