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L’HÉRITAGE DE L’ONCLE CHRISTIAN.

L’héritagc de mon oncle Christian. (Page 51.)

J’entre dans la salle : « Ceci est à moi ! » J’ouvre les armoires, et, voyant le linge amoncelé jusqu’au plafond : « Ceci est à moi ! » Je monte au premier étage et je répète toujours comme un insensé : « Ceci est à moi !… ceci est à moi !… Oui… oui… je suis propriétaire ! Toutes mes inquiétudes pour l’avenir, toutes mes appréhensions du lendemain sont dissipées ; je figure dans le monde, non plus par mon faible mérite de convention, par un caprice de la mode, mais par la détention réelle, effective, des biens que la foule convoite.

« Ô poètes !… ô artistes !… qu’êtes vous auprès de ce gros propriétaire qui possède tout, et dont les miettes de la table nourrissent votre inspiration ? Vous n’êtes que l’ornement de son banquet, la distraction de ses ennuis, la fauvette qui chante dans son buisson, la statue qui décore son jardin. Vous n’existez que par lui et pour lui ! Pourquoi vous envierait-il les fumées de l’orgueil, de la vanité, lui qui possède les seules réalités de ce monde ? »

En ce moment, si le pauvre maître de chapelle Hâas m’était apparu, je l’aurais regardé par-dessus l’épaule ; je me serais demandé : « Quel est ce fou ?… qu’a-t-il de commun avec moi ? »

J’ouvris une fenêtre, la nuit approchait, le soleil couchant dorait mes vergers et mes vignes à perte de vue. Au sommet de la côte, quelques pierres blanches indiquaient le cimetière.

Je me retournai : une vaste salle gothique,