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L’ILLUSTRE DOCTEUR MATHÉUS.

Les basques de sa grande capote flottaient en l’air. ( Page 8.)

choses, laissa tomber la bride sur le cou de Bruno et remonta tranquillement la côte de Saverne.

Le soleil était haut lorsqu’il atteignit la route, et quoique la chaleur donnât d’aplomb ; sur sa nuque ; quoique son échine ruisselât de sueur, et que Bruno s’arrêtât de temps en temps pour brouter quelques touffes d’herbe au bord du sentier, l’illustre philosophe ne s’apercevait de rien. Il se voyait déjà sur le théâtre de ses triomphes, allant de ville en ville, de village en village, foudroyant les sophistes et semant dans le monde les germes bienfaisants de l’anthropo-zoologie.

« Frantz Mathéus, s’écriait-il, tu es vraiment prédestiné ! À toi seul était réservée la gloire de faire le bonheur du genre humain et de répandre la lumière éternelle ! Regarde ces vastes pays, ces villes, ces fermes, ces hameaux, ces chaumières : ils attendent ta venue ! Partout se fait sentir le besoin d’une doctrine nouvelle, fondée sur les trois règnes de la nature ; partout les hommes gémissent dans le doute et l’incertitude ! Frantz, je te le dis sans vanité, mais sans fausse modestie, l’Être des êtres a les yeux fixés sur toi… Marche ! marche ! et ton nom, comme ceux de Pythagore, de Moïse, de Confucius et des plus sublimes législateurs, retentira d’écho en écho jusqu’à la consommation des siècles ! »

L’illustre docteur raisonnait ainsi dans toute la sincérité de son âme, et descendait la côte du Falberg à l’ombre des sapins, quand des cris de joie, des éclats de rire et les sons nasil-