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L’AMI FRITZ.

pas inspiré, dans tous les temps et dans tous les lieux, les plus belles actions et les plus hautes pensées ? N’est-il pas le souffle de l’Éternel lui-même, le principe de la vie, de l’enthousiasme, du courage et du dévouement ? Il t’appartient bien de profaner ainsi la source de notre bonheur et de la gloire du genre humain. Ôte l’amour à l’homme, que lui reste-t-il ? l’égoïsme, l’avarice, l’ivrognerie, l’ennui et les plus misérables instincts ; que fera-t-il de grand, que dira-t-il de beau ? Rien ; il ne songera qu’à se remplir la panse ! »

Tous les assistants s’étaient retournés ébahis de son emportement ; Hâan le regardait de ses gros yeux par-dessus l’épaule de Schoultz, qui lui-même se tordait le cou pour voir si c’était bien Kobus qui parlait, car il ne pouvait en croire ses oreilles.

Mais Fritz ne faisait nulle attention à ces choses.

« Voyons, David, reprit-il en s’animant de plus en plus, quand le grand Homérus, le poëte des poëtes, nous montre les héros de la Grèce qui s’en vont par centaines sur leurs petits bateaux pour réclamer une belle femme qui s’est sauvée de chez eux, traversent les mers et s’exterminent pendant dix ans avec ceux d’Asie pour la ravoir, crois-tu qu’il ait inventé cela ? Crois-tu que ce n’était pas la vérité qu’il disait ? Et s’il est le plus grand des poètes, n’est-ce pas parce qu’il a célébré la plus