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L’AMI FRITZ.

Voilà comment l’ami Fritz passait le temps en route ; ce n’était pas toujours gaiement, comme on voit. Son remède ne produisait pas tous les heureux effets qu’il en avait attendus, bien s’en faut.

Mais ce qui l’ennuyait encore plus que tout le reste, c’était le soir, dans ces vieilles auberges de village, silencieuses après neuf heures, où pas un bruit ne s’entend, parce que tout le monde est couché, c’était d’être seul avec Hâan après soupe, sans avoir même la ressource de faire sa partie de youker, ou de vider des chopes, attendu que les cartes manquaient, et que la bière tournait au vinaigre. Alors ils se grisaient ensemble avec du schnaps ou du vin d’Ekersthâl. Mais Fritz, depuis sa fuite de Hunebourg, avait le vin singulièrement triste et tendre ; même ce petit verjus, qui ferait danser des chèvres, lui tournait les idées à la mélancolie. Il racontait de vieilles histoires : l’histoire du mariage de son grand-père Niclausse, avec sa grand’mère Gorgel, ou l’aventure de son grand-oncle Séraphion Kobus, conseiller intime de la grande faisanderie de l’électeur Hans-Péter XVII, lequel grand-oncle était tombé subitement amoureux, vers l’âge de soixante-dix ans, d’une certaine danseuse française, venue de l’Opéra, et nommée Rosa Fon Pompon ; de sorte