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L’AMI FRITZ.

C’est ainsi que, le nez en l’air, les mains dans ses poches, il arrivait au bout du village, dans quelque sillon de blé, dans un sentier qui filait entre des champs de seigle ou de pommes de terre. Alors la caille chantait l’amour, la perdrix appelait son mâle, l’alouette célébrait dans les nuages le bonheur d’être mère ; derrière, dans les ruelles lointaines, le coq lançait son cri de triomphe ; les tièdes bouffées de la brise portaient, semaient partout les graines innombrables qui doivent féconder la terre : l’amour, toujours l’amour ! Et, par-dessus tout cela, le soleil splendide, le père de tous les vivants, avec sa large barbe fauve et ses longs bras d’or, embrassant et bénissant tout ce qui respire ! Ah ! quelle persécution abominable ! Faut-il être malheureux pour rencontrer partout, partout la même idée, la même pensée et les mêmes ennuis ! Allez donc vous débarrasser d’une espèce de teigne qui vous suit partout, et qui vous cuit d’autant plus qu’on se remue. Dieu du ciel, à quoi pourtant les hommes sont exposés !

« C’est bien étonnant, se disait le pauvre Kobus, que je ne sois pas libre de penser à ce qui me plaît, et d’oublier ce qui ne me convient pas. Comment ! toutes les idées d’ordre, de bon sens et de prévoyance, sont abolies dans ma cervelle, lorsque je vois des oiseaux qui se becquètent, des