Page:Erckmann-Chatrian — L'ami Fritz (1864).djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
L’AMI FRITZ.

prit, la leva gravement entre son œil et la lumière, pour en admirer la belle couleur d’ambre jaune, souffla la mousse du bord, et but avec recueillement, les yeux à demi fermés. Après quoi il dit : « Elle est bonne ! » et se pencha sur l’épaule du grand Frédéric, pour voir les cartes qu’il venait de lever.

C’est ainsi qu’il rentra simplement dans ses habitudes.

« Du trèfle ! du carreau ! Coupez l’as ! criait Schoultz.

— C’est moi qui donne, » faisait Hâan en ramassant les cartes.

Les verres cliquetaient, les canettes tintaient, et Fritz ne songeait pas plus alors au vallon de Meisenthâl qu’au Grand Turc ; il croyait n’avoir jamais quitté Hunebourg.

À deux heures entra M. le professeur Speck, avec ses larges souliers carrés au bout de ses grandes jambes maigres, sa longue redingote marron et son nez tourné à la friandise. Il se découvrit d’un air solennel, et dit :

« J’ai l’honneur d’annoncer à la compagnie que les cigognes sont arrivées. »

Aussitôt les échos de la brasserie répétèrent dans tous les coins : « Les cigognes sont arrivées ! les cigognes sont arrivées ! »