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ROMANS NATIONAUX

Alors je m’en allai sans rien dire (Page 22.)


cheveux bruns pendant sur les yeux, le cou nu et la bouche ouverte pour soupirer, avait l’air d’un homme qu’on va pendre. Deux médecins, M. le chirurgien-major de l’hôpital, avec un autre en uniforme, causaient au milieu de la salle. Ils se retournèrent en me disant :

« Déshabillez-vous. »

Et je me déshabillai jusqu’à la chemise, que Warner m’ôta. Les autres me regardaient. M. le sous-préfet dit :

« Voilà un garçon plein de santé. »

Ces mots me mirent en colère ; malgré cela, je répondis honnêtement :

« Mais je suis boiteux, monsieur le sous-préfet. »

Les chirurgiens me regardèrent, et celui de l’hôpital, à qui M. le commandant de place avait sans doute parlé de moi, dit :

« La jambe gauche est un peu courte. »

— Bah ! fit l’autre, elle est solide. »

Puis, me posant la main sur la poitrine :

« La conformation est bonne, dit-il ; toussez. »

Je toussai le moins fort que je pus ; mais il trouva tout de même que j’avais un bon timbre, et dit encore : « Regardez ces couleurs ; voilà ce qui s’appelle un beau sang. »

Alors moi, voyant qu’on allait me prendre si je ne disais rien, je répondis :

« J’ai bu du vinaigre.

— Ah ! fit-il, ça prouve que vous avez un bon estomac, puisque vous aimez le vinaigre.

— Mais je suis boiteux ! m’écriai-je tout désolé.