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Histoire d’un paysan.

En intérieur ; M. Christophe, au centre, casse son bâton. Michel, en arrière-plan à gauche, est appuyé sur la table. Au fond à droite une femme joint les mains ; un homme se tient derrière elle. Tous regardent le père Bénédic.
« Mais là, j’ai fait le sacrifice de mon humiliation au seigneur. » (Page 33.)

C’était malheureusement trop vrai. Que peuvent faire des malheureux qui ne savent pas même lire ? Que peuvent-ils faire, entre les dents d’un Robin ? Ils sont bien forcés de se laisser dévorer tout vivants.

Il nous fallut plus d’une année pour payer les neuf gros écus et ravoir le billet. À la fin, M. Robin disait que nous lui donnions trop d’écritures, et qu’il ne voulait plus recevoir d’aussi petites sommes. Je lui répondis que c’était très-bien, que nous allions consigner l’argent chez M. le prévôt, et il s’adoucit.

Finalement, quand je rapportai le billet, la mère en sautait de joie ; elle aurait voulu pouvoir le lire, et criait :

« C’est fini !… C’est bien fini ! Tu es sûr que c’est fini, Michel ?

— Oui, j’en suis sûr.

— Nous n’aurons plus de corvées pour Robin ?

— Non, ma mère.

— Lis voir un peu. »

Tous autour de moi se penchaient, la bouche ouverte, en écoutant, et quand à la fin je lus : « Payé ! » ils se mirent à danser ; on aurait cru des sauvages qui se réjouissent. La mère criait :

« La chèvre ne nous broutera plus l’herbe sur le dos ! Ah ! ce n’est pas malheureux !… Nous en a-t-elle fait faire, des corvées !… »

Et quelque temps après, M. Robin s’étant arrêté devant la baraque, pour demander si nous avions besoin d’argent, elle prit la fourche et courut sur lui comme une furieuse, en criant :