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Histoire d’un paysan.

Maître Jean et trois autres sont en train de récolter les pommes de terre. Sur le chemin, de l’autre côté d’un muret, le père Bénédic passe avec un âne bâté. On aperçoit plusieurs maison au bout du chemin.
Le Seigneur a béni la plante des hérétiques. (Page 20.)

J’entrais dans la salle encore vide. La mère de M. le curé Christophe, une toute petite femme courbée et ratatinée, la jupe de toile rouge montant derrière jusqu’au milieu du dos, à la mode alsacienne, le bonnet en forme de coussin, sur le chignon, Mme Madeleine, alerte comme une souris, venait déjà d’allumer le feu. Je posais ma bûche à côté du poêle, et mes sabots dessous, pour les sécher. Tout est encore là sous mes yeux : les poutres blanches à la chaux ; les petits bancs à la file ; le grand tableau noir, contre le mur entre les deux fenêtres ; tout au fond, la chaire de M. Christophe, sur une petite estrade ; et au-dessus de la chaire, le grand crucifix.

Chacun devait balayer à son tour, mais je commençais en attendant les autres. Il en arri-

vait

de Hultenhausen, des Baraques et même de Chèvrehof.

C’est là que j’ai connu tous mes vieux camarades : Louis Frossard, le fils du maire ; il est mort jeune, pendant la Révolution ; — Aloïs Clément, qui fut tué d’un coup de mitraille à Valmy ; il était déjà lieutenant en 92 ; — Dominique Clausse, qui s’est établi menuisier, plus tard, à Saverne, — François Mayer, maître tailleur au 6e hussards ; en 1820, il s’est retiré riche, à ce que l’on dit, mais où, je n’en sais rien ! — Antoine Thomas, chef de bataillon dans la vieille garde ; combien de fois il est venu me voir à la ferme, après 1815 ! Nous causions de nos anciennes histoires ; je lui donnais toujours la chambre d’honneur, en haut ; — Jacques Messier, garde général des eaux et