Voilà comment la semence des pommes de terre fut reçue chez nous. (Page 18.)
V
C’est de ce temps que je commence à vivre. Celui qui ne sait rien, et qui n’a pas le moyen de s’instruire, passe sur la terre comme un pauvre cheval de labour ; il travaille pour les autres, il enrichit ses maîtres, et, quand il devient faible et vieux, on s’en débarrasse.
Tous les matins, au petit jour, le père m’éveillait. Les frères et sœurs dormaient encore. Je m’habillais sans faire de bruit, et je sortais avec mon petit sac, les pieds dans mes sabots, le gros bonnet de roulier sur les oreilles et ma
bûche sous le bras. Il faisait froid à l’entrée de l’hiver. Je fermais bien la porte et je partais, soufflant dans mes doigts.
Comme tout me revient après tant d’années : le sentier qui monte et redescend, les vieux arbres dépouillés au bord du chemin, le grand silence de l’hiver dans la forêt ; et puis le village de Lutzelbourg au fond du vallon, avec son clocher pointu, le coq dans les nuages gris ; le petit cimetière en bas, les tombes enterrées dans la neige ; les vieilles maisons, la rivière, le moulin du père Sirvin, qui clapote sur la grande fosse tournoyante… Est-il possible que les choses de l’enfance vivent toujours dans votre esprit, quand le reste est le vite oublié !…
J’arrivais presque toujours avant les autres.