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Histoire d’un paysan.

Des militaires à cheval, sabre à la main, attaquant des gens à pieds, qui tentent de fuir. Au centre de l’image une femme court avec un enfant dans ses bras. Derrière les militaires, un mur avec une porte, dont le faîte est décoré de ferrures.
Les sabres montaient et descendaient. (Page 130.)

était entré sou par sou, liard par liard, et s’en allaient à la municipalité.

C’est à la municipalité qu’on vendait au plus offrant et dernier enchérisseur. On achetait des masses de terre à terme, par lots de cinq, dix, vingt hectares et plus. Chaque municipalité répondait de ses ventes ; elle envoyait des bons à l’État, et ces bons payaient le déficit des seigneurs et des évêques, qui seuls avaient fait la dette, puisque nous n’avions jamais été consultés. Un peu plus tard, ces bons s’appelèrent assignats ; les assignats représentaient tant de terre, et personne ne pouvait les refuser, puisque la terre c’est de l’argent.

Mon Dieu ! que j’aurais fait de bons marchés en ce temps, si j’avais eu de quoi payer ! Le grand étang de Lixheim m’avait donné dans

l’œil, et la prairie autour du couvent des Tiercelins aussi ; mais quand on n’a rien pour répondre, c’est difficile ! Combien de fois, sous la voûte de la mairie, j’écoutai crier ces beaux champs, ces bois taillis ou de haute futaie, ces gras pâturages ! Le cœur me crevait de ne pouvoir pas miser un liard, faute de caution. Quand quelque vieux paysan tout gris, en blouse, s’en allait emportant un bon lot, je le regardais avec envie, et je criais dans mon âme :

« Michel, tâche de travailler et d’économiser, tu auras aussi de la joie dans tes vieux jours ! »

Je n’ai jamais oublié cela. Malheureusement les plus belles occasions sont passées ; il ne reste plus à vendre que les forêts de l’État, et nous attendons toujours un nouveau déficit !