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Histoire d’un paysan.

sace du côté de Coblentz, ou de Bâle, en répétant d’un air de menace :

« Attendez !… attendez ! Nous reviendrons !… nous reviendrons ! »

Ils étaient comme fous ; on leur riait au nez. C’est ce qu’on appelle l’émigration. Cela commença par le comte d’Artois, le prince de Condé, le prince de Bourbon, Polignac, et le maréchal de Broglie, le même qui commandait l’armée autour de Paris et qui devait enlever l’Assemblée nationale. Ils avaient poussé le roi dans leurs folies, et maintenant qu’ils en reconnaissaient le danger, ces bons royalistes le laissaient seul dans la peine.

En voyant cette débâcle, maître Jean s’écriait :

« Qu’ils partent !… qu’ils partent !… Quel débarras pour nous et notre bon roi !… Maintenant il sera seul, il n’aura plus monseigneur le comte d’Artois pour lui souffler ses idées. »

Tout le monde se réjouissait. Ah ! s’ils étaient tous parts, on ne parlerait plus d’eux ; nous en aurions fait cadeau de bon cœur aux Allemands, aux Anglais et aux Russes, mais un grand nombre restèrent à la tête de nos régiments, et ceux-là ne pensaient qu’à soulever les soldats contre la nation. Quelle chose abominable ! Vous verrez ce que ces gens essayèrent contre leur patrie ; tout cela viendra par la suite, nous n’avons pas besoin de nous presser.

Les Parisiens en ce temps aimaient encore tellement le roi, qu’ils voulurent l’avoir au milieu d’eux. Ils envoyèrent leurs femmes à Versailles, pour le prier de venir avec la reine Marie-Antoinette, le jeune dauphin et toute la famille royale. Louis XVI ne put faire autrement que d’accepter, et ce pauvre peuple dans la disette criait :

« Nous ne mourrons plus de faim… voici le boulanger, la boulangère et le petit mitron. »

Lafayette, qui marchait en. avant, sur son cheval blanc, fut nommé commandant de la garde nationale, et Bailly maire de Paris. On voit bien ici le bon cœur des malheureux, qui ne gardent jamais rancune du mal qu’on leur a fait.

Chauvel nous écrivit alors ces choses attendrissantes. Il nous dit aussi que l’Assemblée nationale avait suivi le roi et qu’elle délibérait dans un grand manége, derrière le château des Tuileries. Tous les cinq ou six semaines nous recevions une de ses lettres, avec un paquet de gazettes : le Journal des révolutions de Paris, les Révolutions de France et du Brabant, les Annales patriotiques, le Publiciste parisien, et beaucoup d’autres dont les noms ne me reviennent pas maintenant.

C’était plein de force et d’esprit, surtout les articles de Loustalot et de Camille Desmoulins.

Tout ce qui se faisait, tout ce qui se disait en France était rapporté dans ces journaux, et si bien, que chaque paysan pouvait se faire une idée de notre position. Nous les lisions à la halle de Phalsbourg, où le grand Élof Colin avait établi notre premier club, sur le modèle des Jacobins et des Cordeliers de Paris. C’est là qu’on se réunissait le soir, entre le magasin des pompes à feu et les vieilles boucheries, et que Létumier criait les nouvelles d’une voix tellement forte et claire, qu’on le comprenait jusque sur la place d’Armes. On arrivait de tout le pays pour l’entendre, et l’apothicaire Tribolin, Raphaël Mang, le préposé des étapes, Didier Hortzou, le chapelier, homme plein de bon sens, Henri Dominique, l’aubergiste, Fixari, Baruch Aron, Pernett, enfin tous les notables de la ville prononçaient des discours touchant les droits de l’homme, le veto, la division de la France en départements, la loi sur les citoyens actifs et passifs, l’admission des protestants et des juifs aux emplois publics, l’institution du jury, l’abolition des couvents et des ordres religieux, la reprise des biens du clergé par la nation, la création des assignats, enfin sur tout ce qui se présentait, à mesure que ces questions se débattaient dans l’Assemblée constituante. Quelle vie et quel changement !

Autrefois les seigneurs et les évêques auraient tout dit, tout fait, tout arrangé dans leur intérêt, à Versailles, sans s’inquiéter de nous ; ils auraient continué de nous tondre régulièrement, leurs intendants, leurs collecteurs, leurs lieutenants de police, seraient venus avec la maréchaussée nous appliquer tranquillement leurs volontés, qui faisaient la loi ; notre bon roi, le meilleur des hommes, aurait eu la bouche pleine de l’amour des malheureux, les bals, les fêtes, les parties de chasse, les salutations et génuflexions auraient rempli les journaux de la cour ; et, en attendant, le froid, la faim, les misères de toute sorte auraient continué leur tournées dans le peuple. Ah ! oui, c’est un bonheur d’entendre parler de ses propres affaires et d’avoir sa voix au chapitre ; comme on soutient ceux qui sont dans nos intérêts ; comme on crie, comme on trépigne contre ceux qui nous déplaisent !

Voilà ce qui s’appelle vivre ! Encore aujourd’hui la vieille halle, avec sa lanterne à la maîtresse poutre ; les bancs du marché, pleins de monde ; les enfants assis sur la baraque du vieux savetier Damien, le grand Collin debout sur la table, avec le journal, le vent qui souffle