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consiste, du fond des salles de rédaction, à envoyer les autres à la mort. Ils ont donc consulté le peuple, à l’occasion de ce millième jour (1.500.000 morts). Mais, naturellement, ils ne peuvent rapporter que les propos orthodoxes, dans le sens de la guerre à outrance. De tous ceux qui réclament la fin, c’est-à-dire de l’énorme majorité populaire, ils ne peuvent rien répéter. Et c’est, une fois de plus, la sophistication, la drogue empoisonnée.

— Le 28. Il y a un certain nombre de mariages entre infirmières mûres et riches, et des soldats aveugles. Cela choque d’abord. Et puis ? Elles auront ce qu’elles n’auraient pas eu. Et eux ne verront pas les signes de l’âge.

— On devrait dire : il y a 1.500.000 jeunes morts.

— L’insouciance de la foule demeure prodigieuse. L’échec de l’offensive du 16 semble rester ignoré. On n’en parle pas. On entend parler affaires par les hommes, et toilette par les femmes.

— L’aviateur Gilbert conte son évasion à Gheusi, qui se propose de l’écrire. J’en note deux traits. Une fois parti par le tuyau d’aération des cabinets (après deux mois et demi d’essais, une fausse sortie et un amaigrissement voulu), un ami le cacha deux jours, à Zurich, dans sa garçonnière, et dans un placard. Gilbert le détourna de mettre dans le secret la vieille bonne, suisse allemande, si dévouée qu’elle fût. Et, l’ami absent, Gilbert vit, par le trou de la serrure de son placard, la vieille bonne fouiller le bureau, prendre des notes, reconstituer les papiers déchirée de la corbeille. Une espionne. Deuxième épisode : la visite de la petite amie de l’hôte. Ce dernier, qui savait Gilbert dans le placard, se montra très réservé. Elle s’en irrita. Il proposa de sortir. Elle déclara qu’elle n’était pas venue pour cela. Et il dut prétexter la migraine.