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je les défendrais. Mais je trouverais cette besogne triste, pénible, barbare. Je souffrirais d’y être contraint. Je ne la magnifierais pas, je n’en ferais pas la plus grande gloire sur la terre, je ne la mettrais pas à mille pieds au-dessus de toutes les autres vertus. C’est cette apothéose du sentiment patriotique, en temps de guerre, cette religion fanatique, imposée, farouche, dévoratrice, cruelle, absolue, cette mentalité d’aïssaouas en délire, — et qui cache tant d’intérêts, d’ambitions, de calculs et de vanités — c’est cela qui m’exaspère.

— Se figurera-t-on plus tard exactement le temps que nous vivons, cette continuelle glorification du meurtree sur un fond d’insensibilité et de cruauté ? Des magazines gais et rieurs servent des anecdotes à goût de sang, fades et chaudes. Exemple : le petit garçon qui croit que son sou neuf est en or, qui le porte à la Banque « pour qu’on tue beaucoup de Prussiens » : les dames employées le couvrent de baisers. Et le bon tireur qui dit à l’aumônier, en lui montrant deux Allemands dans leur tranchée : « Foutez-leur l’absolution avant que je les abatte. »

— Dégagera-t-on également l’énorme rôle du respect humain, de l’amour-propre, dans cette effroyable aventure ? En wagon, voici encore une de ces femmes de mobilisés qui sont orgueilleuses de la blessure de leur mari, qui ne sont qu’ostentation. Et c’est, pour la galerie, des phrases comme : « Tu as bien ta feuille de congé de convalescence ?… Oh ! Comme tu as gardé le langage des tranchées !… Toi qui as fait campagne dès le début… Quand tu étais à la Fille-Morte… Il faudra acheter tous les numéros de l’Illustration qui donnent les cartes du front, pour marquer tous les endroits où tu as été… »

— Un numéro du Journal du Peuple découpe des phrases de ministres alliés et peut en conclure :