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dans des mots anciens, qui servaient à peindre la lutte de deux petites armées de métier. C’est vouloir faire tenir la planète dans un coquetier.

— L’insensibilité (qui fait dire : « C’est bon ! » après une journée de tuerie) ne vient-elle pas, elle aussi, de la notion surannée que nous gardons de la guerre ? De même qu’on parle de victoire, d’enveloppement, d’anéantissement, comme s’il s’agissait toujours d’une armée de 40.000 hommes, de même on reste aussi insensible au massacre que s’il s’agissait de mousquetaires, de lansquenets, qui ouvraient la tranchée au violon. C’étaient des soldats de métier. Ils avaient accepté cette besogne. On ne s’émouvait donc pas des pertes. Et on continue…

— On échafaudait devant moi, aujourd’hui, cette fable : « Le Kaiser fit dans la forêt de Pinon, fin mai, un discours qu’on nous cacha. Il craint pour sa dynastie. Il a peur des pangermanistes. Mais il veut la paix. Ludendorff est dans son jeu. L’attaque sur Reims est une invitation à attaquer nous-mêmes, « Attaquez-nous donc, tas de feignants », le coup de coude de la payse dans les côtes de son amoureux trop réservé. Les Allemands feindraient de résister, mais c’est pour nous laisser toutes les apparences de la victoire. En réalité, ils s’en vont. Et ce sera la paix.

— Le 20. Demartial a reçu la visite d’un Anglais qui lui a communiqué l’analyse des numéros du Manchester Guardian dont l’entrée en France avait été interdite et qui rapportaient l’affaire autrichienne. Le Gouvernement français aurait refusé les propositions de l’Autriche parce qu’elle offrait l’Alsace-Lorraine de 1871. Il voulait celle de 1814, la rive gauche du Rhin. Je n’y puis croire. Si on a écarté la paix pour suivre le vœu de quelques métallurgistes, ce geste seul a entraîné des millions de morts.