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— Le 30. Le bombardement à longue portée reprend dès 7 heures toutes les demi-heures. La vie continue. Quand on tire à plombs sur un banc de poissons, près de la rive, leur foule ne s’émeut pas. Les morts remontent et le reste continue de chercher pâture. On s’étonne d’une si élémentaire animalité. Pourtant, la ville donne cette impression. À cinquante pas de la catastrophe, on achète, en vend, on aime, on travaille, en mange. Des héros ? Non. Des bêtes.

Hier, je sortais du Nord-Sud à la Madeleine quand une femme annonça l’écroulement de Saint-Gervais. Quelques très jeunes gens, assis sur les parapets de la station, plaisantèrent bruyamment. Chacun s’en fut à ses affaires. Comment réaliserait-on la guerre du front ? On ne réalise pas celle qui sévit à dix minutes de là.

— Le 31. Pâques. Les journaux pleurent les 75 morts de Saint-Gervais. On versa sur eux des discours parlementaires. C’est qu’ils appartenaient à une classe privilégiée. Il meurt chaque jour cent fois plus d’hommes au front, dans l’offensive. Ils ont moins de larmes et de discours. Et les morts de la Courneuve… On ne les célébra pas tant. Comme écrivait Mme de Sévigné à propos d’une catastrophe : « Heureusement, aucun nom… »

— La Chambre a voté le 29 l’incorporation de la classe 19. Pour la sixième fois depuis la guerre, on moissonne la 20e année. Il n’y eut que 7 opposants au vote. L’offensive sert le Gouvernement. « Il faut faire l’union. »

— Le 30 semble être le jour de la plus furieuse attaque sur le front français, de Lassigny à Moreuil (nord de Montdidier). Aussi l’angoisse fut-elle instinctivement la plus vive. Les journaux les plus belliqueux d’ordinaire furent les plus affolés. Ils