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France. Au milieu du deuxième acte, l’acteur Silvain s’avance vers la rampe et dit : « On annonce une alerte… » Quelques spectateurs de l’orchestre ordonnent : « Continuez. » On continue. Le cinquième environ des spectateurs s’en va. Nous avons trop d’amis dans les loges pour suivre ce mouvement. À travers les strophes du poème, on entend le hurlement des sirènes et bientôt le tambourinement des explosions. Long entr’acte. Nous explorons le foyer désert, sombre, où trône un Voltaire blindé de sacs de sable. Pendant ce temps, on tient conseil autour de l’administrateur. Faut-il s’en tenir là ou achever la pièce ? Naturellement, c’est le « jusqu’au bout » qui l’emporte. À l’issue de la représentation, les artistes invitent les spectateurs à descendre dans les caves, car le bombardement continue. Immenses, ces caves. On a rangé sous des bâches les bustes de marbre qui ornaient le théâtre. Un soldat a posé son képi sur la perruque de Molière. Albert Lambert, en tenue de ville, mais visage fardé, promène son inaltérable beauté. Madeleine Roch dit des vers. L’impression générale est d’attente résignée et somnolente. À minuit 20 on crie : « Terminé ! » Dehors, le brouillard est dense. Les lampes électriques de poche donnent à la rue un aspect nouveau.

Le lendemain matin, nous repassons boulevard Saint-Germain. Six points de chute sur une centaine de mètres. Un trou s’ouvre rue de Lille juste devant l’ambassade d’Allemagne, dont la porte est défoncée. Quelle ironie !

Nous allons voir Anatole France. La veille, au Théâtre-Français, dans le bureau de l’administrateur, en apprenant que les papiers du Ministère de la Guerre brûlaient, il a dit : « Je commence à croire à la victoire. »