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à l’Opéra-Comique. C’est la Bourse des Rumeurs, dans ce temple de la Musique. La veille, Deschanel était venu bavarder longuement dans ce bureau. Il déplore qu’on ne fît pas la paix avec les Autrichiens, qui y sont prêts, sous l’influence de leur Impératrice, et avec les Turcs.

— Rencontré l’auteur dramatique D…, dont le fils unique — sa fierté, sa raison de vivre — est aviateur devant Saint-Quentin. Il appréhende la paix séparée russe, déclare que la paix actuelle serait mauvaise, qu’il faut attendre. « Quoi ? » lui demandai-je. Réponse : « Que l’Allemagne en ait assez. »

— Le sentiment que la guerre est fatale comme l’amour et la mort est resté très vivace. Et cela explique qu’on accepte la guerre comme une catastrophe naturelle, la peste, la foudre (encore lutte-t-on contre ces fléaux, tandis qu’il est défendu de honnir la guerre, d’y toucher !). Cela explique qu’on ne s’insurge pas contre tous ceux qui l’ont appelée, favorisée, laissée naître. Cela explique l’universelle résignation aux deuils, aux misères, aux privations, aux futures charges financières qui écraseront les générations…

— Je me demande si la pitié ne s’éveille pas uniquement par le témoignage des sens. Ainsi, lorsqu’on entend un cri de douleur, lorsqu’on voit un accident, on s’émeut, on souffre, on veut que cela cesse, ne serait-ce que pour cesser soi-même de souffrir. Mais il me semble que cette compassion ne s’éveille pas pour ce qu’elle n’enregistre pas. Et cela expliquerait la guerre, car on en a écarté de nos yeux et de nos oreilles toute l’horreur. Cela se passe à 100 kilomètres de Paris. Et la Censure monte la garde.

— Au 1er  groupe d’aérostiers, il y a neuf mois,