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ENTRE DEUX BATAILLES


des inquiétudes également passionnées. Des périls économiques se révélèrent, auxquels nul n’avait encore pris garde. On sentit confusément que cette guerre n’allait point ressembler aux autres, que, dominée par un fait nouveau — l’unité du monde, — elle créait des possibilités inattendues en sorte que, dès son lendemain, les rancunes accumulées et les appétits cramponnés se heurteraient en un conflit gigantesque pour la conquête du pouvoir. Repousser simplement la classe ouvrière vers son ancien destin, il n’y faudrait guère compter. Composer avec elle ou se soumettre à elle constitueraient la seule alternative à débattre.

Autour de cette alternative, des opinions diverses sont en train de se former. Les uns considérant les tares, l’état de décomposition de la Société, son impuissance à se reformer, s’attachent à l’idée d’une Société nouvelle, plus juste — et partant plus chrétienne. D’autres pensent que les éléments de réfection existent et qu’ils finiront par se manifester. Mais que, dans un proche avenir, la classe ouvrière exerce pleinement le pouvoir ou qu’elle y participe simplement, la question de sa préparation n’en demeure pas moins primordiale ; or, cette préparation est nulle. Certains s’en inquiétaient dès jadis. J’ai retrouvé récemment le texte d’une convocation adressée en 1890 à une vingtaine de personnalités qualifiées en vue d’examiner les moyens de préparer « le quatrième État » (on disait le quatrième État, en ce temps-là, pour désigner les prolétaires) à la mission gouvernementale que l’extension démocratique semblait devoir lui réserver. La réunion n’eut pas lieu. Nul ne s’y intéressa, hormis M. le recteur Gréard,