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Addition a l'Économie rustique. FROMAGE D'AUVERGNE,

Contenant deux Planches.

DAns les Monts d'or, dans le Cautale & le Salers, on fait des fromages connus sous le nom de fromages du Cautale ou d'Auvergne: Il y en a de deux sortes, les uns qu'on appelle fromages de formes, & dont on verra la configuration & le volume dans les figures & dans les détails qui suivront; les autres appellés chabrilloux, parce qu'ils sont faits communément de lait de chevre, sont cylindriques & fort petits.

Les pâturages sont situés sur les sommets élevés ou sur les croupes peu inclinées des plus hautes montagnes. On y fait monter les vaches vers le 15 Mai, lorsque la pointe de la verdure commence à pousser, & on les en retire vers le 15 Octobre, au retour des neiges. Ces pâturages sont partagés par cantons qu'on nomme Vacheries. On voit au centre de ces vacheries une cabanne qui sert à loger les vaches & à faire les fromages. A côté est ordinairement la laiterie où l'on met le lait, pour en retirer la crême & les fromages qu'on sale & qui passent. Ce bâtiment est tenu très-frais; aussi on excave le terrein sur lequel il est construit; il n'a qu'une ouverture par le toit de paille qui le recouvre, encore tient-on cette ouverture fermée assez exactement pendant la chaleur par une botte de paille qu'on leve ou qu'on abaisse à l'aide d'une bascule, à l'extrémité de laquelle cette botte est liée. On joint à ces bâtimens un parc où l'on enferme les vaches pendant la nuit. Ce parc est fermé de haies ou de palissades mobiles, & gardé par des chiens, qui sont ordinairement des dogues de la grosse espece, & fort aguerris contre les loups.

Quatre hommes qui ont des grades & des occupations différentes, savoir le Vacher, l'Aide, le Gouri & le Vedelet, sont employés à l'administration d'une vacherie, le vacher a l'inspection générale sur les opéra-tions économiques de l'établissement, fait les fromages, & prend un soin particulier de la laiterie; l'aide tire les vaches, est admis à faire les fromages, & partage les détails de la laiterie, le gouri garde les vaches, les tire, & est chargé de la nourriture des cochons qu'on éleve dans la vacherie; enfin le vedelet garde les veaux qu'il mene paître séparément, les fait tetter en les liant aux piés de leurs meres, & tire les vaches au besoin. Malgré cette distribution aussi exacte des différens travaux de la vacherie, on ne peut s'empêcher de dire qu'il regne dans toute la laiterie & dans les cabanes une malpropreté qu'on ne sauroit trop s'efforcer de détruire.

On tire les vaches deux fois par jour, le matin avant de les mettre dans les pâturages, & le soir sur les cinq à six heures. Ensuite lorsqu'il reste du tems, on les laisse paître autour du parc avant de les y renfermer. Lorsqu'on veut rassembler les vaches dans le parc, le gouri & le vedelet les appellent & leur distribuent à chacune une petite pincée de sel; ces animaux habitués à ce régal se rendent promptement au parc, dès qu'ils entendent le premier appel qui est le signal de la distribution; cet appel se fait toujours sur le même ton.

Après qu'on a trait les vaches on coule le lait en le faisant passer à-travers une chausse d'étamine blanche d'un tissu peu serré, fig. 1. Un des pâtres présente la chausse qu'il entreouvre au-dessus d'un seau cylindrique qu'on nomme baste, fig. 2. cette baste a trois piés & demi de hauteur, sur deux piés de diametre, elle est garnie de cercles depuis le haut jusqu'en bas. Deux douves opposées diamétralement, dans lesquelles il y a deux entailles, servent à transporter ces bastes pleines de lait. Il y a aussi vers le bas une ouverture latérale, par le moyen de laquelle on soutire le lait.

On met la présure dans le lait sitôt qu'on l'a coulé; on sait que la présure a pour base le lait qu'on trouve dans l'estomac d'un veau qui tette. On prépare ce lait qui est caillé par les fermens naturels de l'estomac, en le paîtrissant avec du sel & du lait nouvellement tiré, & on le conserve en cet état dans la poche de l'estomac pour servir au besoin. Quelques vachers l'emploient ainsi; mais le plus grand nombre des propriétaires des vacheries sont dans l'habitude d'employer une préparation qui donne à ce ferment plus de force & d'activité.

Ils mettent tremper un estomac de veau rempli de présure préparée comme je l'ai dit, dans deux pintes d'eau tiede, avec du sel & des morceaux d'estomac de bœufs, de veaux, de chevres, de brebis desséchés. On ne laisse digérer l'estomac rempli de ferment que vingt-quatre heures, après quoi on le retire & il sert encore trois ou quatre fois avec la même efficacité; mais les morceaux d'estomacs dessechés trempent pendant quinze jours l'été, & pendant un mois l'hiver, jusqu'à ce qu'ils soient épuisés de tous les principes dont l'eau peut se charger, & ils ne servent plus. La liqueur qui résulte de toutes ces préparations est employée avec succès comme une présure forte.

En certain tems, & surtout au commencement du printems, on emploie une présure d'une vertu médiocre; pour cela on met tremper pendant vingt-quatre heures dans de l'eau tiede, ou encore mieux dans du petit-lait aigri qu'on nomme gappe, une moitié d'estomac de bœuf ou de vache desséchée; la liqueur se charge pendant ce court espace de principes qui produisent sur le lait un effet assez considérable pour le tems; car il est bien important de ménager pour-lors la présure dans les fromages. Sans cette précaution la pâte des fromages en qui la fermentation continue par la chaleur de l'été qui se fait sentir au fond des souterreins où on les conserve, se réduiroit en grumeaux desunis, & n'auroit aucune consistance. J'ai observé que souvent les fromages d'Auvergne ont ce défaut de préparation, quoique les vachers soient bien instruits de l'inconvénient dont je parle.

On verse environ un tiers de chopine de présure sur quinze pintes de lait, c'est-à-dire un quarante-cinquieme. On remue le lait pour distribuer ce ferment uniformément dans toute la masse, & pour en hâter l'effet. Le lait se prend ou se caille en moins d'une demi-heure à la faveur du repos & d'une chaleur douce & modérée qu'on lui a communiquée en l'approchant du feu, si la chaleur de la saison n'est pas suffisante.

Lorsque le lait est pris entierement on plonge dans la masse du caillé un bâton armé d'une planche ronde trouée qu'on nomme menole fig. 3. On agite la menole jusqu'à ce qu'on ait bien divisé la masse du caillé, au milieu de laquelle le petit-lait se trouve dispersé comme dans une infinité de cellules, qu'on détruit par cette agitation. Quelques-unes des parties du caillé tendent à s'affaisser au fond de la baste, mais d'autres nagent dans le petit-lait. On rapproche toutes ces parties avec la menole, à laquelle on a adapté une espece d'épée de bois qu'on nomme mesadou fig. 4. On tient cet équipage fig. 5. dans une situation verticale, & on le promene dans tout le contour de la baste, en se portant du centre à la circonférence, par ce moyen on parvient à former de tout le caillé un gâteau qui se précipite au fond du seau; le petit-lait qui surnage se vuide ou avec une écuelle, ou par inclinaison, dans d'autres bastes, fig. 6.

Nous avons vû dans la description des procédés du fromage cuit & du fromage de Gerardmer, que ce petit-lait dont on a tiré le premier fromage contient encore une partie des substances caséeuse & butyreuse qui lui sont unies. En Auvergne on ne recherche d'abord que la substance butyreuse, & les procédés que nous allons décrire ont pour but de l'obtenir.

On mêle au petit-lait environ un douzieme de lait nouvellement tiré, & on le verse dans une baste fig. 6. qui ait un pié & demi de hauteur sur autant de diametre, en conséquence de cette forme la partie butyreuse a moins de trajet à faire pour s'élever à la surface en