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qu'une montre bien ou mal faite, il y a plusieurs mobiles, qui se communiquent le mouvement en vertu d'une premiere cause ou force motrice.

Dans cette communication il se présente deux resistances; l'une qui résulte dans la masse du mobile, & l'autre dans le dégagement des parties qui étant appliquées sur le mobile pour lui communiquer le mouvement, pénetrent un peu ce mobile par l'inégalité des surfaces des parties antérieure & postérieure qui lui servent de point d'appui.

C'est de cette pénétration réciproque des parties insensibles de la surface que résulte la resistance qu'on appelle le frottement.

Mais comme l'on ne connoit absolument point la nature des matieres ni le tissu des surfaces, l'on ne peut connoître celle des frottemens; c'est pourquoi l'on n'a pû jusqu'à présent, avec les raisonnemens les plus subtils & les expériences les plus exactes, établir aucune théorie générale qui détermine exactement la mesure de cette resistance.

Mais supposé qu'on trouve par quelques moyens la valeur de cette résistance; ce qui pourroit suffire à presque toutes les machines en général, seroit encore bien-loin de l'être à l'Horlogerie en particulier: car ce ne seroit pas assez de savoir combien cette resistance épuiseroit de force, il faudroit encore y faire entrer le tems employé à l'épuiser.

Ainsi dans différentes machines, les effets peuvent bien être les mêmes & les parties de tems varier, sans que cela tire à conséquence pour le résultat de la machine.

Mais dans l'Horlogerie, les plus petites parties de tems doivent être toutes égales entre elles; d'où il suit que cet art exige nécessairement deux connoissances dans le frottement: 1°. la force nécessaire à le vaincre: 2°. le tems qu'elle y emploie. Ces deux causes qui se combinent de tant de façons différentes, sont la source d'une infinité de variations qui se rencontrent dans l'Horlogerie.

Pour donner une idée de la difficulté d'établir aucune théorie sur le frottement, relativement à l'Horlogerie, il faut savoir que d'après les expériences les plus exactes & souvent répétées (toutes choses d'ailleurs égales dans les surfaces frottantes, au-moins autant que la vue seule peut le faire connoître, & sans appercevoir aucune différence assignable, quoiqu'il soit fort probable qu'il y en avoit en effet): l'on trouve, dis-je, par des expériences répétées, des résultats qui different entre eux; c'est-à-dire qu'il faut quelquefois plus ou moins de force pour vaincre le même frottement: & par la même raison on voit aussi de la différence dans le tems employé à le vaincre: ensorte que l'on ne peut par aucun raisonnement ni par l'expérience, estimer précisément cette resistance, ni le tems employé à la vaincre.

Tout ce qu'on pourroit avancer de plus positif sur cette matiere, d'après ces mêmes expériences, c'est que les variations que le frottement présente, soit dans la force, soit dans le tems, se trouvent entre de certaines limites qui sont d'autant plus étroites, que les surfaces frottantes sont moins étendues, plus dures, plus polies, & qu'elles paroissent avoir le moins changé d'état: & c'est précisément le cas où se trouve une montre bien faite.

Et au-contraire, les variations sont d'autant plus grandes, que les surfaces sont plus étendues, moins dures & moins polies, & par-conséquent plus sujettes à recevoir des changemens; & c'est le cas où les mauvaises montres se trouvent.

Mais quoique les variations d'une mauvaise montre soient très-grandes, rien n'empêche rigoureusement, que par une suite de ces mêmes variations, il ne s'en puisse trouver quelquefois qui aillent bien pendant un certain tems: & bien-loin qu'une telle montre puisse être imitée dans cette régularité momentanée, la cause en est tellement compliquée qu'elle tient au résultat d'un enchaînement de défauts multipliés par le frottement, qui, se compensant les uns par les autres, produisent cette heureuse combinaison que toute la science de l'horloger ne sauroit prévoir ni assigner: ensorte qu'on ne peut regarder cela que comme un effet du hasard, aussi n'arrive-t-il que rarement.

Si d'un autre côté l'on joint les principales causes morales, qui font quelquefois trouver bonne une mauvaise montre, l'on verra que pour l'ordinaire elles consistent en ce que la montre coutant peu, le propriétaire en exige moins de régularité, & ne prend pas même le soin de la suivre sur une bonne pendule. S'il lui arrive de la comparer au méridien, & qu'elle s'y trouve juste, il conclut que sa montre est parfaite, dans le tems même que, pour l'être, elle devroit paroître autant avancer ou retarder sur le soleil qu'il a lui même de ces erreurs en différens tems de l'année. L'oubli quelquefois de les monter est encore avantageux aux mauvaises montres, parce que cela fournissant l'occasion de remettre à l'heure, les erreurs ne s'accumulent pas.

Il suit de tout cela, que le peu d'intelligence qu'elles exigent, & qui se borne à faire qu'elles n'arrêtent pas, contribue à les multiplier. C'est en quoi beaucoup d'horlogers font tellement consister toute leur science, que la plûpart n'ayant fait aucune preuve de capacité, ignorent parfaitement que les montres varient, & ils se contentent même dans leur pratique, de copier autant qu'ils le peuvent les habiles artistes, sans pénétrer les vues qui les ont dirigés dans leurs pénibles recherches; & par une suite des fatalités humaines, ils moissonnent souvent avec facilité ce que les autres ont semé avec beaucoup de peine.

Il suit encore que l'Horlogerie est peut-être de tous les arts celui où l'ignorance devroit être le moins tolérée; 1°. parce qu'une mauvaise montre ne remplit aucun but, puisqu'on ne peut compter sur elle pour savoir l'heure; 2°. parce qu'il est trop facile de faire marcher la plus mauvaise montre pendant quelque tems, & que l'épreuve de quelques mois est équivoque & ne prouve rien: enfin parce qu'un mauvaise montre peut avoir l'apparence d'une bonne, & que par cela même il est trop aisé de tromper le public, sur-tout si l'on fait attention que pour les vendre avec plus de facilité, l'on y fait graver impunément les noms des plus habiles artistes, ce qui devient funeste à l'art en général & à l'artiste en particulier Un objet de cette importance, qui intéresse le public, ne pourroit il en être une de considération de la part du gouvernement?

Il suit enfin de toutes ces réflexions, que pour avoir de la bonne horlogerie, il faut absolument s'adresser directement aux habiles artistes, si l'on veut être assuré de n'être point trompé.

Il ne sera peut-être pas hors de place de tracer ici l'historique de la perfection de l'Horlogerie en France, où elle s'est rendue si supérieure depuis quarante ans, qu'elle s'est acquise la plus haute réputation chez l'étranger même, qui la préfere actuellement à toute autre, parce qu'elle l'emporte véritablement par la bonté & par le goût.

Sous le regne de Louis XIV. tous les arts furent perfectionnés, l'Horlogerie seule en fut exceptée, soit qu'on n'y pensât pas, soit que le préjugé où l'on étoit alors de la bonté des ouvrages d'Angleterre, sur-tout de ceux de méchanique, fût encore trop fort, elle resta dans un état de médiocrité qui ne la fit pas rechercher.

La régence fut l'époque de son changement Law, cet ingénieux ministre des finances, se proposa de perfectionner l'Horlogerie, & de conserver à la France par ce moyen, des sommes qu'elle faisoit passer en Angleterre en retour de la sienne. Dans ce dessein il attira beaucoup d'Anglois, il en forma une fabrique dont M. de Suly, qui avoit pour l'Horlogerie plus de génie que de talens, fut nommé directeur. Mais cette fabrique étoit trop bien imaginée pour que la jalousie angloise la laissât longtems subsister. Bientôt elle rappella ses sujets. La plûpart s'en retournerent, & ne laisserent après eux que l'émulation établie par la concurrence. Julien le Roi parut, qui avoit de son côté pour cet art plus de talens que de génie. Il fut connu de Suly, en fut protégé, encouragé, & devint tellement amateur des bons ouvrages, que dès-lors il n'employa plus que de bons ouvriers, ou de ceux qui montroient des dispositions à le devenir. Il prit de l'horlogerie françoise & angloise ce qu'il y avoit de bon. Il supprima de celle-